Ce modello à l’écriture à la fois précise et fougueuse trahit le talent d’un maître peignant sans hésitation. La palette vive, l’éclairage harmonieux et la complexité des costumes méritent davantage les éloges que le tableau final avait suscités par les critiques de l’époque.

Cette esquisse aboutie de dimensions relativement grandes a été présentée par le Baron Gérard à Sosthène Ier de La Rochefoucauld pour en valider la composition. Un échange épistolaire de 1825 illustre la relation très courtoise que l’artiste entretenait avec le directeur des beaux-arts et on devine aisément que la présence de cette œuvre au château de Bonnétable découle de cette amitié.

Elève de David, François Gérard devient le peintre officiel de l’Empire et l’un des artistes les plus réputés de son époque. Portraitiste hors pair, il ose des compositions originales qui font son succès. Portraitiste des plus hautes familles aristocratiques de France et d’Europe, il se fait remarquer aussi par ses peintures historiques qui font de lui un personnage influent des milieux intellectuels et artistiques de son temps.

Surnommé par ses contemporains « peintre des Rois et roi des peintres », il est, sous la Restauration, premier peintre du roi et créé baron en 1819.

Quand en 1823, Louis XVIII lance l’expédition d’Espagne afin de rétablir sur son trône le roi Ferdinand VII, il commande à son peintre un tableau rétrospectif de grande dimension.« La Proclamation du duc d’Anjou, roi d’Espagne sous le nom de Philippe V, le 16 novembre 1700 » trônera alors dans la salle du Conseil du Palais des Tuileries

"Proclamation du Duc d'Anjou, roi d'Espagne sous le nom de Philippe V"  Le Baron Gérard, Château de Chambord

A la mort du roi Charles II d’Espagne, le 1 novembre 1700, sans héritier mâle, son testament désigne Philippe, duc d’Anjou, comme successeur au détriment de l’archiduc Charles de Habsbourg, de la maison d’Autriche. Arrivé à Versailles, l’ambassadeur d’Espagne, le marquis de Castel dos Rios, s’agenouille devant le futur Philippe V que Louis XIV lui présente. Les princes du sang et des dignitaires assistent à la scène qui se déroule dans le Cabinet du Roi.

Le rappel de cet événement historique fondateur de la dynastie de la Maison de Bourbon intervient pour renforcer la légitimité du successeur actuel, Ferdinand VII, ainsi que la nécessité de cette intervention française dans les affaires espagnoles.

L’œuvre du Baron Gérard a été exposée au salon de 1824. On la distingue en arrière-plan de la composition de François-Joseph Heim (1787-1865) « Charles X distribuant des récompenses aux artistes exposants du salon de 1824 au Louvre », tandis que Sosthène Ier de La Rochefoucauld y est représenté à côté du Roi.

"Charles X distribuant des récompenses aux artistes exposants du salon de 1824 au Louvre", François-Joseph Heim

"Le vicomte Sosthène de La Rochefoucauld", étude pour le tableau ci-contre.

Conservée ensuite à Versailles dès 1834 dans le Salon du Grand Couvert, elle est actuellement en dépôt au Château de Chambord. 

De nombreuses différences avec l’œuvre finie sont à observer :   Le Grand Dauphin a d’abord été imaginé avec une expression plus théâtrale, vêtu d’une redingote bleue plutôt que rouge.

Détails du Grand-Dauphin, notre étude à gauche, le tableau de Chambord à droite

Pour certains protagonistes tels que le marquis de Castel dos Rios ou le nonce apostolique, ce sont les visages qui ont changé de modèle.

Détails du marquis de Castel dos Rios, notre étude à gauche, le tableau de Chambord à droite

Bossuet, quant à lui, n’est plus à la même place et regarde dans une autre direction. On peut supposer que dans un premier temps le Baron Gérard se serait servi de la gravure du portrait de Bossuet par Rigaud avant de s’inspirer du tableau original.

Détails de Bossuet et du nonce apostolique, notre étude à gauche, le tableau de Chambord à droite

Des rectifications sont également visibles dans le décor. Notons le soleil, emblème de louis XIV, intégré dans la boiserie en haut à gauche du tableau qui a été remplacé par les chiffres du roi.

Détails de la boiserie, notre étude à gauche, le tableau de Chambord à droite

Louis François Sosthènes I^er, vicomte de La Rochefoucauld, épouse Elisabeth Hélène Pierre de Montmorency (1790-1834), héritière du Château de Bonnétable. Un échange épistolaire de 1825 trahit la relation très courtoise qu’il entretenait avec le Baron Gérard et l’on devine que la présence de cette œuvre au Château de Bonnétable découle de cette amitié.

Bibliographie :

-          MOULIN Monique, François Gérard, peintre d’histoire, manuscrit non publié, 1984

-          GERARD Alexandre (1780-1832), Lettres adressées au baron François Gérard, peintre d'histoire, par les artistes et les personnages célèbres de son temps. Volume 2 / 2e édition, publiée par le Baron Gérard, son neveu ; et précédée d'une notice sur la vie et les œuvres de François Gérard, et d'un récit d'Alexandre Gérard, son frère, 1886